LE CHÊNE EN FRANCE
Le chêne, ou plutôt les chênes, sont les rois des forêts françaises. Mythique au temps des druides, arbre vital aux hommes et aux bêtes du moyen-âge, matière première des vaisseaux et des cathédrales, indispensable aux vins français, le chêne est un arbre structurant et emblématique de notre pays. Il a également une importance considérable dans tout l’hémisphère nord.
Du point de vue de la symbiose avec le geai, il est intéressant de faire un rapide état des lieux du chêne en France, pour mieux comprendre les enjeux actuels de l’adaptation du chêne au changement climatique.
PEUPLEMENTS ET SYLVICULTURES
Le chêne représente 41% de la surface forestière française métropolitaine (7 millions d’hectares) mais 27% du volume de bois vivant sur pied. Les proportions des 4 principales essences de chênes sont les suivantes (en volume sur pied) :
- Chêne pédonculé 11%
- Chêne sessile 11%
- Chêne pubescent 4%
- Chêne vert 1%
Les chênes sessile et pédonculé ont une aire de répartition très vaste allant du nord de l’Espagne au sud de la Scandinavie et de l’Irlande à l’Europe orientale. On reconnait dans ces cartes le caractère « pionnier » du chêne pédonculé en direction de l’Est et du Nord.
Les chênes sessile et pédonculé sont présents dans les plaines, sur la plupart des types de sols, à partir du niveau de la mer jusqu’à 1800 m d’altitude. Ces deux essences sont les plus importantes parmi les chênes blancs d’Europe, mais également parmi les espèces feuillues, tant du point de vue économique qu’écologique.
Les futaies, les taillis sous futaie et les taillis sont les trois principaux régimes sylvicoles utilisés. Récemment, la sylviculture proche de la nature ainsi que la régénération naturelle ont été encouragées dans de nombreux pays européens.
Le chêne pubescent occupe la partie centrale et méridionale de l’Europe et c’est l’une des principales essences dans le sud-est du continent et en Anatolie. Le chêne vert est présent tout autour de la Méditerranée, sauf en Egypte, mais il est plus abondant au Nord et à l’Ouest du bassin.
L’habitat du chêne pubescent est caractérisé par des niveaux de précipitations faibles (<400mm pendant la période de végétation) et de longues périodes de sécheresse estivale. Les sujets âgés sont rares car le bois est récolté sur des cycles plus courts.
Le chêne vert offre une diversification écologique intéressante là où il est présent : bois, protection environnementale, tourisme, nourriture (animaux). Capable de survivre à des climats extrêmes (hivers froids, été caniculaires), il est très résistant au feu, contrairement au pin. En Espagne, où il couvre à lui seul près de 4 millions d’hectares, le chêne vert forme des forêts souvent utilisées en sylvopastoralisme et pour nourrir les cochons.
LES SERVICES ECOSYSTEMIQUES DU CHENE
Le stock total de chênes en France s’élève à 785 millions de mètres cubes pour les 4 essences majeures pour un nombre de tiges estimé à près de 3 Milliards (avec de grandes disparités de volume moyen entre les essences).
La France est le premier producteur de chênes en Europe et le deuxième au niveau mondial derrière les Etats-Unis et devant l’Ukraine. La production annuelle de chêne en France s’élève à 16 millions de mètres cubes (taux d’accroissement moyen 2%) dont la moitié est récoltée (pour un chiffre d’affaires estimé à 1 Milliard d’Euros) et l’autre moitié est stockée en forêt. Ci-dessous répartition des stocks et des flux pour les 4 essences principales (IGN 2023) :
Outre la production de bois, l’autre service écosystémique rendu par les chênes en France concerne la captation de CO2 en puit de carbone, participant ainsi activement à l’objectif de neutralité carbone de la France en 2050. Le volume d’accroissement non récolté des 4 essences de chêne citées s’élève à 7,2 millions de mètres cubes, arrondi à 8 millions avec les autres essences minoritaires. A raison d’une tonne de CO2 par m3 de bois sur pied, les chênes captent chaque année l’équivalent de 8 millions de tonnes équivalent CO2 (dans les parties aériennes des arbres uniquement).
Mais le carbone séquestré dans les troncs et les branches n’est pas le seul puit de carbone produit en forêt ; il est stocké également dans le sol (estimations) :
- Dans les racines: 2 Mt équivalent CO2
- Dans le bois mort sur pied ou au sol: 0,8 Mt équivalent CO2
- Dans le sol forestier (humus, matières organiques): 8 Mt équivalent CO2
- Soit un total de 18,8 Mt de CO2 séquestrés chaque année par les chênes en forêt.
A cela s’ajoute la part des produits bois chêne (construction, meubles, tonnellerie) qui participent également à la compensation carbone. Quant au bois chêne utilisé pour le chauffage, il se substitue à la consommation d’énergies fossiles non renouvelables.
Il semble que le cas du chêne et d’autres feuillis, qui participent activement aux puits de carbone, soit « l’arbre qui cache la forêt ». En effet, depuis peu, d’autres essences ne jouent plus leur rôle de puits de carbone à cause d’une forte mortalité (épicéa, châtaignier) ou de prélèvements importants (pin maritime, épicéa, pin sylvestre). L’effondrement très récent des captations globales du carbone par la forêt française est un sujet de préoccupation majeure.
LE CHÊNE FACE AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
En 2024, les chênaies françaises font face aux effets du changement climatique (mortalité, pathogènes) mais ne sont pas pour l’instant les plus fortement affectées en comparaison de certaines populations de résineux (épicéa, sapin), car les chênes démontrent des capacités d’adaptation intéressantes. Néanmoins, la vitesse des changements climatiques en cours est un défi considérable pour la gestion et l’avenir du chêne en France.
PROJECTIONS CLIMATIQUES ET INCIDENCES SUR LES CHENAIES FRANCAISES
Météo France vient de confirmer la trajectoire climatique pour la France avec une hausse des températures de 2,2°C en 2050 et jusqu’à 3,9°C en 2100 (scénario RCP 8,5). Cela se traduira par moins de jours de gel (voire plus de gel dans les régions méridionales) en hiver, et par des canicules plus fréquentes et des sécheresses plus longues en été.
2100 est une échéance intéressante pour les forestiers d’aujourd’hui, car la forêt d’alors sera en grande partie une conséquence directe de leurs actions actuelles. Dans le cas de la régénération du chêne, c’est ce qui est semé aujourd’hui qui servira de trame aux chênaies de 2100 (soit environ deux générations d’arbres).
Que signifie la hausse de température prévue sur l’aire de répartition future des essences de chênes ? D’un point de vue théorique, il est communément admis les valeurs moyennes suivantes :
- Gradient adiabatique (altitude): 0,6°C pour 100 m (Lenoir, Gégout, 2010)
- Gradient latitudinal de température: 1°C pour 100 km
Voici donc le tableau de marche qui attend les forestiers :
Ces pronostics concernent le chêne comme toutes les autres essences forestières mais doivent être fortement nuancés (à la hausse ou à la baisse) en fonction de nombreux autres facteurs géographiques (sols, pluviométrie, vents, versants).
COMPRENDRE LES DYNAMIQUES DE COLONISATION DU CHENE
Face à ces enjeux, il est intéressant de comprendre quelles sont les aptitudes biologiques et génétiques du chêne pour répondre au besoin de migration. Le chêne a des atouts sérieux dans son jeu.
Des graines casanières…
La première méthode de migration est le déplacement des graines et il faut avouer que le chêne a un handicap sérieux dans ce domaine : c’est l’essence la moins « mobile ». Les glands sont lourds et tombent sous l’arbre semencier, dont l’ombre bloque le développement des jeunes chênes. Grâce aux geais, associés indispensables, les graines sont disséminées en grande quantité, sur un rayon de plusieurs kilomètres et plantées avec de grandes chances de produire de jeunes arbres. D’autres auxiliaires (rongeurs, autres corvidés) participent à un degré moindre à ce travail. La symbiose chêne-geai à montré dans le passé une efficacité satisfaisante pour la régénération et pour une colonisation de nouveaux espaces.
Une maturité lente,
Les chênes sont des essences longévives (plusieurs siècles), à croissance relativement lente pour produire des bois de qualité. En revanche, la maturité sexuelle est assez longue, les générations successives moins rapprochées, ce qui réduit la vitesse potentielle de déplacement de l’espèce. Les chênes pédonculé et sessile atteignent la maturité sexuelle vers 40-60 ans (en fonction du contexte) et les essences thermophiles (pubescent et chêne vert) plutôt vers 10-15 ans. Les forestiers et les chênes disposent donc d’un nombre limité de générations d’arbres pour s’adapter à l’échéance de 2100.
Mais un pollen grand voyageur.
Les chênes démontrent un potentiel d’adaptation génétique assez impressionnant y compris à longue distance grâce à un pollen très mobile. Le vent peut disperser le pollen du chêne pédonculé à près de 200 km du géniteur mâle (Dyakowska et Zurzycki, 1959). L’équipe de génétique de l’INRA de Bordeaux a largement décrit les phénomènes d’hybridation et d’introgression en jeu chez le chêne. En comparant les génomes d’arbres de différentes classes d’âge, l’INRA a constaté des sauts évolutifs en très peu de générations dans les populations de chênes de trois forêts françaises (2022).
Le phénomène d’hybridation asymétrique entre le chêne pédonculé et le chêne sessile est particulièrement intéressant pour comprendre la dynamique évolutive du complexe pédonculé/sessile (Petit et al, 2003) :
(a) Le chêne pédonculé s’installe à longue distance.
(b) Dispersion à longue distance du pollen mâle du chêne sessile ; croisement avec les fleurs femelles du chêne pédonculé ; émergence du type sessile (en cœur de peuplement) en quelques générations.
(c) En périphérie de peuplement, le chêne pédonculé continue sa dispersion par les geais.
(d) Le processus continue avec le chêne pédonculé dans un rôle « pionnier » et le sessile dans un rôle « mature ».
Le chêne pédonculé à l’avant-garde de la colonisation.
La nature étant bien faite, études et observations concordent pour montrer que les geais ont une préférence marquée pour la dispersion des glands du chêne pédonculé, tête de pont de la migration du complexe pédonculé/sessile. Le chêne pédonculé semble jouer un rôle pivot dans la migration :
- Le poids et la forme des glands du chêne pédonculé correspondent à l’optimum du geai (Dupouey et Le Bouler, 1898)
- Le chêne pédonculé est perméable génétiquement au pollen du chêne sessile (et non l’inver)
- Le taux de levée moyen est plus élevé pour le chêne pédonculé (75%) que pour le chêne sessile (65%)
- Les glands de pédonculé germent plus tard ; les geais évitant les glands germés.
LES CHÊNES VONT-ILS S’ADAPTER ASSEZ VITE ?
Dans l’ère post-glaciaire, les chênes ont colonisé l’Europe, du sud au nord, à une vitesse comprise entre 150 et 500 mètres par an, soit 7 à 10 kilomètres par génération (dispersion par les geais associé à des évènements de dispersion à grande distance). En retenant la valeur haute (500 mètres par an), cela représente une migration potentielle de 37 kilomètres d’ici à 2100, bien en-deçà des distances nécessaires pour accompagner la hausse des températures prévues (250 à 390 km).
Concernant la migration altitudinale, Lenoir et Gégout (2010) ont mesuré la migration de 57 espèces ligneuses dans les massifs français entre la période 1905-1985 et la période 1986-2005. La remontée constatée sur cette période de début du changement climatique est de l’ordre de 15 mètres par décennies. A ce rythme, les arbres pourraient migrer d’environ 110 mètres en altitude d’ici 2100. Nous avons vu plus haut que les projections climatiques impliqueraient un déplacement compris entre 400 et 650 mètres d’altitude.
L’analyse des projections de de déplacement tant latitudinal qu’altitudinal pour le chêne montre que la migration naturelle sera très largement insuffisante. Les vitesses d’adaptation sont extrêmement insuffisantes, dans des rapport de 1 à 10 pour la migration vers le nord et de 1 à 5 pour la migration en altitude.
Alors que faire pour le chêne ? Tous les regards se portent sur les mécanismes de migration assistée qui peuvent recouvrir un spectre très large de trajectoires sylvicoles. Voici quelques pistes de régénération naturelles utilisant le semis assisté par les geais (lien).
EXEMPLES DE TRAJECTOIRES SYLVICOLES UTILISANT LA SYMBIOSE CHENE-GEAI
Diversifier des peuplements de résineux peu denses. Exemple : remontée du chêne pédonculé de 500m à 1100 mètres d’altitude dans des peuplements partiels de pins sylvestres, épicéas dans le massif central.
Diversifier des peuplements de résineux après éclaircies ou à la suite de mortalité. Exemple : introduction du chêne pédonculé ou sessile en remplacement des prélèvements effectués suite à la mortalité de l’épicéa en moyenne montagne.
Introduction du chêne pubescent dans des chênaies dominées par le pédonculé et le sessile. Exemple : semis assistés de Chêne pubescent dans des chênaies mixtes de plaine en région Auvergne Rhône-Alpes ou en Bourgogne.
Reboiser après coupes rases sur étage collinéen. Exemple : semis assisté de chênes pédonculé et sessile sur friches et espaces ouverts sur des stations comprises entre 300 et 800m d’altitude.
Rejoignez-nous et partagez vos expériences de migration assistée et de régénération naturelle du chêne grâce aux geais.