LE GEAI DES CHENES (GARRULUS GLANDARIUS)
L’ETHOLOGIE DU GEAI DES CHÊNES EN BREF
Oiseau passériforme de la famille des corvidés. Genre Garrulus, espèce Glandarius.
Taille : 30 à 35 cm / Envergure : de 55 à 60 cm les ailes déployées / Poids : 150 à 250 g selon les régions. / Caractéristiques du corps : bec court et robuste, plumes de la calotte érectiles (forme de huppe), poche sous le bec lui permettant de stocker des glands. Il n’y a pas de dimorphisme sexuel.
La remarquable bande que l’on voit sur ses couvertures est l’un des principaux critères distinctifs de ce bel oiseau. D’un bleu vif, traversée par de fines et élégantes lignes noires qui forment un délicat motif en damier, elle est visible de loin, d’où qu’on l’observe. Toujours sur l’aile, on remarque une autre bande très blanche, entrecoupée de deux autres très noires qui, ajoutées à la bande bleue, créent un magnifique contraste lorsque les ailes sont déployées. Le croupion est blanc, délimité par une queue bien allongée, très noire aux reflets bleutés. Le corps est, quant à lui, entièrement de couleur beige rosé, avec des nuances tendant vers le rose vineux, peut-être unique parmi les oiseaux du paléarctique tant par sa tonalité que par son étendue.
Sa tête aussi est particulière. Plutôt carrée et massive, elle présente de larges moustaches noires qui du bec descendent de plusieurs centimètres sur le cou, un bec de corvidé, robuste et fort, également noir et des yeux avec un iris gris bleuté et une grande pupille noire. La gorge et le front sont blancs. Sur la tête on peut voir de courtes plumes érectiles qui se dressent lorsque l’individu est excité ou en présence d’un danger.
EFFECTIFS ET REPARTITION
Espèce ubiquiste pourvu qu’il y ait des arbres, des grandes forêts aux parcs urbains (jusqu’à 1 500 mètres d’altitude), son aire de répartition est large sur le continent eurasiatique.
Garrulus Glandarius est présent dans l’Europe entière, à l’exclusion de l’Islande, de l’extrême nord de la péninsule scandinave à l’extrême sud-ouest de la péninsule ibérique. Il est présent en Anatolie jusqu’à la mer Caspienne et au golfe persique et dans une bande ininterrompue qui va du nord de la mer Noire, traversant la Sibérie, jusqu’à atteindre les côtes de l’océan Pacifique, aux environs du 55ème parallèle, descendant ensuite plus au Sud pour occuper entièrement le sud de la Chine et la péninsule malaise. Il est aussi présent au Japon et tout au long de la chaîne himalayenne. En Afrique on le rencontre dans les aires montagneuses du Maroc et de l’Algérie.
Au nord de son aire de répartition, il ne dédaigne pas habiter les pinèdes et au sud le maquis méditerranéen, montrant une grande capacité d’adaptation. Son implantation dans les zones urbaines, relativement récente (1960 à Paris, où il est aujourd’hui couramment observé dans les parcs), traduit aussi son adaptabilité aux perturbations anthropiques.
Ses effectifs en France sont mal connus ou avec une précision insuffisante. On l’estime à 400 000 couples. Au Royaume-Uni, l’estimation est de 170 000 couples et en Suisse, de l’ordre de 65 000 couples. D’après des relevés du réseau Vigie-Nature (voir ci-dessous), la population est stable et semble accompagner la tendance légèrement haussière de la surface de la forêt française lors des dernières décennies. Néanmoins, il serait très utile de mener un recensement plus précis de la population en France.
A raison d’une densité théorique d’un couple de geais tous les 5 hectares (Bossema, 1979), la surface de forêt française dans laquelle le chêne est présent (environ 7 millions d’hectares) peut potentiellement accueillir quelque 1,4 millions de couples de geais, au lieu des 400 000 estimés actuellement.
REGIME ALIMENTAIRE ET SOCIOLOGIE
Omnivore, le geai des chênes mange principalement des fruits forestiers (glands, noix, châtaignes) avec une préférence pour les glands (50% de son alimentation annuelle et près de 90% de son alimentation hivernale). En automne, il constitue une réserve de glands qu’il cache à divers endroits en prévision de l’hiver. Il mange également des insectes, des invertébrés (lézards, orvets), des chenilles défoliatrices, parfois des petits mammifères (rongeurs). Pendant la période de nourrissage des petits au nid au printemps, le besoin de protéines peut l’amener à consommer des œufs ou oisillons d’autres espèces (passereaux). Il peut aussi se nourrir par opportunisme de plantes cultivées (maïs) et picorer des fruits dans les jardins.
Sa consommation de glands et de graines en forêt est concurrencée notamment par des rongeurs (mulot sylvestre, écureuil roux), mais également par les cervidés et les sangliers.
Le geai des chênes est un oiseau sédentaire et territorial ; un couple occupant un territoire d’environ 5 hectares et le défendant ardemment. Les couples « dominants » cherchent à utiliser les meilleures zones de reproduction (forêt dense), laissant les milieux moins favorables aux autres. Cette répartition avec accès inégal aux ressources pourrait jouer un rôle de mécanisme d’auto-régulation des populations. Cependant, il est considéré comme migrateur partiel car les populations des pays nordiques peuvent migrer en automne vers des contrées plus chaudes. Oiseau diurne, curieux et méfiant à la fois, on peut souvent l’observer en couple et très rarement en groupe (lors de la période d’appariement).
REPRODUCTION DU GEAI DES CHÊNES
La période de nidification a lieu au printemps (avril à juin). Le geai choisit son nid dans un arbre (fourche entre 2 branches) ou dans un buisson dense, situé à plus de 2m de hauteur. Il apprécie aussi le couvert persistant des pins et des épicéas. La présence de conifères est en effet un facteur favorable pour la reproduction du geai (Andren, 1990). Le nid est construit à l’aide de végétaux (brindilles, branches, rameaux, racines) et parfois d’un peu de terre. Un couple a une couvée par an (3 à 7 œufs par couvée) ; l’incubation dure de 16 à 18 jours. Seule la mère couve, le mâle pouvant apporter de la nourriture à la femelle. Les petits poussins sont nourris par les deux parents. L’envol des petits se fait au bout de trois semaines. Ils seront encore nourris par leurs parents pendant deux mois environ.
La durée de vie du geai des chênes est de l’ordre de 18 ans à l’état sauvage. Les principaux prédateurs du geai des chênes sont l’autour des palombes, l’épervier, la hulotte, le grand corbeau, l’aigle royal, mais aussi la martre et les chats.
LA SENTINELLE DE LA FORÊT
Outre son rôle de planteur d’arbres, le geai est aussi connu par son rôle de sentinelle de la forêt. On entend son cri/chant bien avant de pouvoir l’apercevoir. Son cri rauque et sonore est une sorte de shreik-shreik-shreik. On dit que le geai garrule, cacarde, cajole, frigulote ou jase.
UN PLANTEUR HORS-PAIR, PREMIER REBOISEUR DE FRANCE
Le geai des chênes est remarquable par certaines aptitudes qu’il met au service de sa propre survie mais qui se révèlent essentielles pour la régénération et la migration des chênes :
- Morphologie adaptée au transport de glands
- Acuité visuelle
- Capacité d’anticipation
- Expert en cache
- Mémoire spatiale
UN PHYSIQUE DE GROS PORTEUR INFATIGABLE
Sous son bec, le geai des chênes possède une petite poche (jabot) dans laquelle il peut aisément stocker les graines qu’il récolte. La capacité de cette poche est de quatre à sept glands (en fonction de leur taille) qu’il peut ainsi transporter et disséminer aux alentours des points de récolte sur un territoire moyen d’environ 5 hectares. Entre début septembre et fin novembre, le geai consacre l’essentiel de son énergie à cette activité.
Travaillant souvent en couple, ils vont enchainer toute la journée les transports entre les semenciers et les lieux de cache. Des études et des observations terrain dénombrent jusqu’à 13 transports à l’heure et jusqu’à 50 transports par jour pour un seul oiseau. Le vol du geai est plutôt rasant en sommet de canopée pour les milieux fermés, et à couvert dans les forêts moins denses. Il n’hésite pas à effectuer des pauses intermédiaires pouvant permettre de repérer les points de cache préférentiels.
Il a été observé que le nombre de glands transportés à chaque voyage dépend de la distance de transport : le geai « voyage à plein » pour les transports les plus éloignés mais se contente d’un ou deux glands à la fois pour les caches à proximité du point de collecte. Il semble donc capable d’» optimiser » le coût énergétique et l’efficacité de ses transports.
Garrulus Glandarius utilise les mêmes stratégies de dispersion des glands que son cou sin d’Amérique, le geai bleu (Pesendorfer, 2016).
UN « PROFILER » DE GLANDS
En période de maturation, les glands peuvent rapidement être affectés par des attaques fongiques ou d’arthropodes. Le geai utilise son excellente vue pour éviter ceux montrant des signes de parasitage. Même lorsque les graines saines sont très minoritaires (11% du total), le geai ne transporte et ne cache que des graines viables (Johnson et Adkisson, 1985).
Après l’inspection visuelle, le geai évalue les glands en les saisissant dans son bec, les soupesant, les secouant pour identifier ceux contaminés mais qui n’auraient pas de signe extérieur. Il écarte ainsi les glands desséchés ou non viables.
Cette sélectivité draconienne des geais augmente la qualité de la dispersion qu’ils fournissent, car la proportion de glands sains transportés est supérieure à celle de l’arbre semencier.
LE GEAI ANTICIPE L’AVENIR
Les geais font partie des rares animaux capables constituer des réserves de nourritures en prévision des périodes de disette (hiver) lorsque toutes ses autres sources de nourritures sont absentes. Il partage cette faculté avec d’autres oiseaux (cassenoix, corbeaux) ou certains rongeurs (écureuil roux). Pour les geais, les glands représentent 90% de leurs réserves. Ils peuvent également cacher des châtaignes ou des faines de hêtre, mais en proportion très minoritaire.
Les glands de chênes blancs (pédonculé, sessile, pubescent) contiennent essentiellement des glucides, et des teneurs faibles en lipides et protéines). Ils constituent 90% de la nourriture des geais pendant les mois d’hiver et près de la moitié de leur alimentation à l’automne et au printemps (Bossema, 1979).
Les geais stockent des réserves en quantité supérieure à leur consommation annuelle, souvent plus du double de ce qu’ils consommeront en hiver (Tomback, 1982). Ils « gèrent » leur stock en visitant les caches régulièrement et en déplaçant parfois certains glands et ils peuvent poursuivre leur travail de mise en réserve tant que des graines saines sont disponibles.
EXPERT EN CACHE
Les techniques de cache du geai sont très élaborées. Nous avons vu qu’ils transportent les glands à une distance comprise entre quelques mètres et environ 2 kilomètres de la source, avec une majorité de caches dans un rayon de 200 mètres. Ils cachent les graines en les enfonçant dans le sol avec leur bec, en prenant soin de n’être pas vu, et en les recouvrant avec un accessoire (souvent végétal) à sa disposition.
En fonction de la nature du sol, il loge les glands dans une fissure ou une crevasse, ou bien l’oiseau utilise son bec pour creuser le trou dans lequel il placera la graine. Les glands sont généralement enfouis à une profondeur comprise entre 1 et 3 cm, ce qui limite la dessiccation et les protège souvent de la prédation des vertébrés.
Lorsque le geai transporte plusieurs glands à la fois (jusqu’à sept), il n’en cache jamais plusieurs au même endroit. En général, il ne place pas deux glands à moins un mètre l’un de l’autre, chaque gland ayant son emplacement propre. De nombreuses études ont mis en lumière l’importance des « balises » utilisées par le geai pour marquer ses lieux de cache (arbres, végétations basses, cailloux, mousse, feuilles).
Même si les geais ne cachent pas les glands dans la terre dans un but de plantation (mais pour leur future consommation), il résulte que ce procédé d’enfouissement s’avère extrêmement favorable à une levée potentielle d’une plantule de chêne si le gland n’est pas consommé. Un semis humain ne pourrait pas surpasser la manière d’enfouir du geai.
UNE MEMOIRE « PRESQUE » PARFAITE
Un geai est ainsi capable de mémoriser plusieurs milliers de cachettes individuelles, dont dépendra sa survie pendant l’hiver. De nombreuses études ont étudié cette faculté des geais. Il semble qu’il « entretient » cette mémoire en visitant régulièrement ses cachettes, et en déplaçant à l’occasion certaines réserves. Il lui arrive aussi de déplacer à son profit des glands cachés par un congénère.
La mémoire du geai pour retrouver ses réserves s’appuie sur les « balises » qu’il a déposé au sol lors de la cache des glands. Des milieux pauvres en points de repères utiles sont négligés par les geais. Il semble que la présence de neige au sol ne compromet pas le repérage des cachettes. Les geais utilisent une boussole interne réglée sur l’azimut du soleil pour retrouver leurs glands. C’est cette même boussole qui est utilisée dans les migrations lorsque l’endroit où ils vivent ne fournit plus assez de nourriture et qu’ils doivent se déplacer à la recherche de lieux plus accueillants (Maxime Zucca).
Néanmoins, sur les quelque 5 000 glands disséminés par un seul geai chaque automne, il va en laisser plus de la moitié au sol, non consommés. Le débat reste ouvert pour savoir si le geai « oublie » une partie de ses cachettes ou s’il adopte une stratégie prévoyante d’enfouir beaucoup plus de glands qu’il n’en aura besoin. C’est probablement une des caractéristiques évolutives du geai à mettre en rapport avec sa coévolution multiséculaire avec les chênes (je me nourris avec tes glands, mais je permets ta régénération).
AUTRES « COQUETTERIES » DU GEAI DES CHÊNES
Le geai aime prendre le soleil ailes ouvertes comme le font de nombreux oiseaux.
Le Geai des chênes pratique aussi le “bain de fourmis” pour prendre soin de son plumage et le garder en bon état et cet oiseau semble réellement avoir une grande passion pour cette activité. Il se perche sur une fourmilière, la secoue de ses pattes, excitant ainsi les fourmis qui y logent puis attend patiemment qu’elles recouvrent son corps tout entier. Afin de se défendre, on pense que les fourmis peuvent émettre des jets d’acide formique sur les plumes de l’intrus, ou même qu’elles combattent et capturent les parasites qui infestent les plumes des oiseaux. Le fait est que le geai en tire un grand bénéfice, maintenant ainsi son plumage sain et brillant.
Pour finir, les pauvres fourmis ne servent plus à rien et les dernières sont noyées dans un petit bain rafraîchissant.
Très adroit lorsqu’il s’agit de se nourrir d’insectes, il a une façon bien à lui d’attraper les guêpes puisqu’il les saisit avec son bec et avant de les gober, les frotte sur un arbre ou une branche de façon à en faire tomber le dard.