Quercus & Garrulus

« Association de forestiers et autres glandeurs… »
Glander : « produire des glands » (Catholicon, XIVe siècle)

Dispositif SAGE

LE SEMIS ASSISTE PAR LES GEAIS (dispositif SAGE)

Une petite vidéo vaut mieux qu’un long discours…

Et oui, ça marche ! Un geai (ou plutôt) un couple de geai peut « enlever » d’un seul bac plusieurs milliers de glands (et autres graines) pendant l’automne.

Le dispositif de Semis assistés par les geais consiste à utiliser la dynamique naturelle de la symbiose chêne-geai pour la gestion des espaces forestiers, plus particulièrement des chênaies. Différentes initiatives ou programmes existent en Europe, pour l’instant à un stade expérimental. L’association Quercus & Garrulus souhaite promouvoir ce dispositif comme véritable outil de gestion sylvicole du chêne en France, à travers les missions suivantes :

  • Diffuser le dispositif auprès des gestionnaires forestiers
  • Partager les expériences, échanger les connaissances, perfectionner les techniques
  • Vulgariser les études scientifiques utilisant le dispositif et initier des programmes de recherches appliqués à cette technique
  • Mobiliser un large public (bénévoles, scolaires, associations) pour la mise en place du dispositif à plus grande échelle.

Pour les gestionnaires forestiers, le reboisement ou la migration assistée du chêne peut s’avérer plus efficace et moins chère que la plantation humaine. Dans tous les cas, c’est au gestionnaire forestier de définir les itinéraires sylvicoles de ses parcelles. Il existe autant d’utilisations différentes du dispositif SAGE qu’il y a d’itinéraires sylvicoles. Le gestionnaire ou le propriétaire est le mieux placé pour adapter le dispositif à ses objectifs et aux caractéristiques de la station (sol, versant, climat).

Le Semis assisté par les geais peut être utilisé à la fois pour le reboisement/régénération comme pour l’adaptation au changement climatique (migration), avec des objectifs à plus ou moins long terme (stratégie « saut de puce » ou « pas de géant »). Une fois la trajectoire définie par le gestionnaire, il va devoir faire le choix des essences à planter et des semences à utiliser, comme dans le cas d’un semis classique :

DISPOSITIF SAGE POUR LE REBOISEMENT

Le Semis assisté par les geais sera plus efficace pour des petites parcelles, ou pour de la densification que pour du reboisement de grandes parcelles (plus de 5 hectares). Un couple de geais possède un territoire d’environ 5 hectares. Les études montrent que le geai est capable de transporter des glands jusqu’à une distance de deux kilomètres mais la majorité de ses transports se font dans un rayon de 200 à 300 mètres de la source. Il préfère un certain couvert pour limiter les risques de prédation par ses prédateurs (autour des palombes notamment).

Le semis assisté par les geais sera plus efficace sur des parcelles avec une sous-végétation en place (genêts, broussailles) ou si quelques tiges subsistent même en faible densité car le geai utilise ces végétations comme points de repères.

Un étude récente sur la dissémination du chêne vert par les geais en Espagne (Perez-Camacho, Villar-Salvador, Cuevas,  Gonzalez-Sousa, Martinez-Baroja, 2023) montre que si la source de graines se trouve à moins de 50 mètres de la lisière (coté ouvert), la majorité des glands seront disséminés dans la partie couverte (non prioritaire). Si la source se trouve à 200 mètres de la lisière du bois le plus proche, les glands seront alors presque tous cachés dans la zone découverte (prioritaire). Le placement de la source de graines à proximité directe du couvert d’un arbre isolé est aussi un facteur favorable pour le geai.

En fonction de la typologie de la station (notamment de la présence de végétation basse), les geais peuvent disséminer des glands dans des concentrations tout à fait adéquates à un reboisement total, jusqu’à plusieurs centaines de glands à l’hectare par an. Mosandl et Kleinert (1998) ont estimé la contribution des geais à 2000-4000 jeunes chênes par hectare dans une forêt d’Allemagne de l’Est. Il est en revanche souhaitable de maintenir le dispositif sur la même station au moins deux ou trois ans de suite.

Dans le cas d’un reboisement sur des stations où le chêne est absent à proximité (stratégie « pas de géant »), l’efficacité du dispositif dépendra bien entendu de la présence ou non de geais dans la région.

DISPOSITIF SAGE POUR LA MIGRATION ASSISTEE

Le Semis assisté par les geais est potentiellement un outil puissant pour accélérer la migration latitudinale ou altitudinale des chênes face à la vitesse des changements climatiques en cours. Des premières expérimentations montrent que le dispositif SAGE permet en effet d’implanter des essences de chênes à grande distance (plusieurs centaines de kilomètres) ou à altitude très supérieure (plusieurs centaines de mètres) de leur habitat actuel.

Les trajectoires possibles sont aussi diverses que les problématiques sylvicoles qui se posent aux gestionnaires forestiers. Elles impliquent à des degrés plus ou moins importants la migration vers le nord ou à des altitudes plus élevées nos races de chênes. Le scénario probable étant désormais de +3,9°C à échéance de 2100 pour la France, les plantations actuelles formeront précisément les forêts de 2100. (lien le Chêne et le changement climatique)

Dans la science inexacte qu’est l’adaptation des forêts au changement climatique, le dispositif SAGE offre une grande souplesse car il est possible d’évaluer son efficacité presque en temps réel (notamment si on utilise en complément des caméras à détection de mouvement). Il est très facile d’adapter l’emplacement des bacs ainsi que la nature des semences proposées. Les enseignements des saisons passées permettent aussi d’adapter le système à la saison en cours.

Les expériences montrent que les geais s’adaptent aux glands proposés dans les bacs, même s’il s’agit d’espèces qu’ils n’ont a priori jamais consommé et même s’il semble qu’ils aient certaines préférences sur le choix des glands (taille, couleur). Les geais sont également capables de cacher des châtaignes, des faines de hêtre ou d’autres graines (des études supplémentaires sur ce point seraient utiles). On peut raisonnablement envisager d’adapter le Semis assisté des geais à la migration du châtaigner et du hêtre en parallèle de celle du chêne.

RECOLTE DU MATERIEL FORESTIER ET PERIODE D’ACTIVITE

Au moment de sélectionner le matériel forestier à utiliser dans le dispositif, il convient de prendre en compte les aspects suivants :

  • Une bonne partie des glands destinés à cette technique sera consommée par les geais mais aussi au sol par d’autres animaux.
  • Le choix des semenciers (phénotype, génétique) d’une part, et les caractéristiques des stations de récoltes (géographie, biotope) d’autre part, sont aussi importants que le choix des stations d’implantation des semis. Ceci est particulièrement pertinent dans le cas de migration assistée (notamment stratégie « pas de géant »).
  • Récolter si possible sur plusieurs sites et sur plusieurs arbres (minimum 30 arbres selon Ducousso) dans chaque site: cela permet d’assurer une diversification génétique des semences.
  • Préférer les glands de grande taille aux plus petits. En effet, la masse du gland est reconnu comme un facteur important de succès de la germination et de la croissance initiale du semis (Pérez-Ramos et al, 2010).
  • Proposer les glands aux geais le plus rapidement possible après la collecte. Les glands peuvent néanmoins être conservés quelques mois dans un endroit très frais (0-2°C environ), humide, à l’abri de la lumière jusqu’à leur installation.

La récolte des glands constitue une grande partie du travail qu’il reste à faire par le forestier. Cet effort sera d’autant plus important que le dispositif sera utilisé à plus grande échelle. Un des objectifs de l’association Quercus & Garrulus est d’aider les forestiers dans cette tâche par l’organisation de campagnes de récoltes par des bénévoles, scolaires ou autres. Contactez-nous si vous avez des besoins (forestiers) ou si vous êtes volontaires à la récolte.

La période pour installer le dispositif colle à la période des glandées et correspond également à la période d’activité intense des geais. Elle dépend des régions et s’étale sur les mois de septembre à décembre. Les bacs peuvent être installés en fin d’été pour qu’à l’automne, le forestier puisse se concentrer uniquement sur la récolte de glands et l’approvisionnement des bacs.

LA REALISATION DES BACS

La réalisation des bacs est simple et peu couteuse. En voici les caractéristiques :
  • Taille: entre 50 et 80cm de côté
  • Profondeur: variable jusqu’à 20cm
  • Les bacs doivent être drainés pour la pluie
  • Hauteur conseillée: 1, 5 mètres de haut pour éviter les consommations par les ongulés de passage.
Exemples de bacs :
Exemple d'un bac
Exemple d'un autre bac

Consultez-nous si vous avez besoin de conseils pour réaliser vos bacs.

LE POSITIONNEMENT DES BACS

C’est un aspect crucial pour l’efficacité du dispositif. Plusieurs études ont été faites pour tracer la dispersion géographique des glands par les geais au moyen d’émetteurs radios cachés dans les glands. Ces données sont riches d’enseignement et sont utilement complétées par les observations de terrain sur la visite des bacs grâce aux pièges photos.

Une étude du dispositif en grandeur nature en forêt allemande (Tiède et Herzog, 2004) donne des précisions intéressantes sur le type de stations préférées par les geais. Les oiseaux cachent le plus grand nombre de glands dans des stations dont le couvert est compris entre 30 et 60% de la canopée (semi-ouvert). Ils constatent des concentrations de semis très variables en fonction de la structure végétale en place au sein de la même station, allant de 160 glands /ha dans des parties denses de conifères, jusqu’à 700 glands /ha dans des zones de transition (croisement de pistes forestières).

Voici une liste non exhaustive des recommandations issue des expérimentations terrain :

  • Installer les bacs de façon stratégique dans les zones où les semis sont souhaités.
  • Les geais repèrent mieux les bacs placés dans les endroits semi-ouverts que sous des couverts trop denses. Les geais ont montré une activité disséminatrice optimale dans des stations dont le couvert est compris entre 30 et 60% (tiède et Herzog, 2004).
  • Les geais semblent éviter les endroits complètement découverts, sans structure verticale à proximité.
  • Inutile de placer des bacs trop proches les uns des autres (minimum 200 mètres de distance).
  • Un piège photo placé à 2 ou 3 mètres de certains bacs est riche d’enseignements.

APPROVISIONNEMENT DES BACS

C’est un autre point crucial pour l’efficacité du dispositif.  Maintenir des bacs remplis de glands de qualité est essentiel. A raison de 2 kilos de graines par bac environ, un passage sur chaque dispositif chaque semaine est souhaitable. Il permet de suivre en temps réel la « consommation » de glands, de retirer ceux qui ont été laissés par les geais puis de remplir à nouveau les bacs. Si des bacs ne sont pas ou peu visités ou bout d’une semaine, il faut probablement les installer ailleurs.

Les observations faites par les caméras pièges sur les dispositifs confirment que les geais sélectionnent les glands avec un très grand soin. Ils détectent les glands parasités ou non sains. Les geais associent la vue et la prise en bec pour choisir les glands qu’ils vont transporter. Voici une vidéo montrant une sélection difficile lorsque le bac est presque vide (il reste une majorité de glands « rebuts »).

A ce titre, un bon contrôle visuel des glands lors du ramassage et a minima un test de flottaison avant de les proposer aux geais sont des gages de réussite pour limiter le taux de rebut final. Pour le test de flottaison, immerger les glands dans une bassine ou un sceau d’eau et éliminer les glands qui flottent car certainement parasités ou secs.

Des études et expérimentations semblent montrer que l’activité de dispersion du geai se prolonge tant que des semences sont à sa disposition. Cela pourrait indiquer que l’utilisation du dispositif SAGE (en utilisant des glands stockés) permettrait de prolonger la durée d’activité des geais sur le début de l’hiver et donc d’augmenter la quantité de semences dispersées.

Tiède et Herzog (2004) observent que l’activité diurne des geais connait des pics d’intensité tôt le matin, à midi et le soir avant la nuit. Cela ressemble assez à nos trois repas quotidiens…

MISE EN COMMUN DES RESULTATS

Nous préparons un formulaire post-dispositif à la disposition des forestiers qui souhaitent partager leurs expériences et résultats de semis assisté par les geais. Vous pouvez d’ores et déjà nous faire remonter ces informations par notre page contact si vous le souhaitez. Nous publierons les données et synthèses tirées de ces retours de terrain afin d’améliorer nos connaissances et l’efficacité du dispositif pour l’avenir.

Nous faisons également un appel au monde scientifique pour la mise en place d’études sur le terrain en utilisant le dispositif de semis assisté par les geais.