Quercus & Garrulus

« Association de forestiers et autres glandeurs… »
Glander : « produire des glands » (Catholicon, XIVe siècle)

Suisse: ProQuercus lance un programme de semis assisté par le geai des chênes sur 3 ans.

proQuercus

L’association ProQuercus agit depuis 2001 pour la promotion du patrimoine naturel et culturel du chêne en Suisse. Il faut savoir que, contrairement à la France, le chêne y occupe une place très minoritaire : seulement 2% du volume sur pied du pays sont des chênes. Afin d’encourager la régénération naturelle du chêne, ProQuercus vient de lancer en 2024 un programme original de semis assisté par les geais à destination des gestionnaires et propriétaires suisses. Patrick Bonfils, ingénieur forestier et responsable du programme chez ProQuercus, nous livre des précisions intéressantes à ce sujet. Le programme propose la mise en place de semis assistés par les geais, avec incitation financière, sur la période 2024-2026, soit trois années de suite. L’objectif principal est la régénération sur des stations entre 3 et 20 hectares où le chêne est peu présent. A l’issue de la campagne 2024, 13 projets ont démarré dans le pays, principalement en forêt publique. Un suivi du dispositif est prévu au moyen d’un questionnaire d’évaluation envoyé en décembre après chaque campagne automnale. Une autre idée intéressante du programme de ProQuercus consiste à inciter les porteurs de projet à communiquer leur expérience auprès de la société civile par des journées d’action, pour informer un public large sur l’importance du chêne et de sa symbiose avec le geai. Pour en savoir plus sur le programme de semis assistés par les geais de ProQuercus : https://www.proquercus.org/bienvenue/le-ch%C3%AAne/semis-assist%C3%A9-par-le-geai-des-ch%C3%AAnes Nous suivrons avec intérêt le déroulement de ce programme dans les prochaines années.

7 décembre 2024: REOUVERTURE DE NOTRE DAME DE PARIS. La majorité des chênes utilisés dans le chantier de Notre Dame ont été plantés par le geai des chênes.

Chantier Notre-Dame de Paris

On a beaucoup parlé, à juste titre, des 2000 chênes récoltés pour reconstruire la flèche et la charpente de Notre Dame. Il faut reconnaître que le défi était de taille pour récolter, tailler et assembler tout ce bois chêne en temps record. Toute la filière chêne française s’est mobilisée, associant forêt publique et propriétaires privés dans un même élan, pour fournir les 2000 arbres nécessaires au chantier de reconstruction de la cathédrale. L’association Quercus & Garrulus souhaite associer à la célébration de la réouverture de Notre Dame cet oiseau assez discret, bien connu des forestiers pour son rôle central de bâtisseur des chênaies françaises : le geai des chênes. Inlassablement, depuis des millénaires, chaque automne, les geais dispersent et cachent dans le sol près de 2 milliards de glands en France, dont ceux qui resteront au sol pourront germer en jeunes chênes. Dans son étude de 1979, Bossema dénombre en forêt que 59% des jeunes chênes sont issus de glands semés par les geais. Cette symbiose végétal-animal millénaire rend des services écosystémiques considérables pour la population française. A la production de bois, s’ajoutent la captation du CO2, l’agrément de nos belles chênaies, et l’habitat pour une grande diversité d’espèces. Pourtant, le défi posé par la vitesse du changement climatique en cours, est celui de la migration des chênes vers le nord et en altitude, dans des proportions bien supérieures à ses capacités d’adaptation. En s’appuyant sur les dynamiques naturelles, les geais sont les associés indispensables des chênes pour accélérer leur migration. Le dispositif de Semis assisté par les geais est nouvel un outil puissant, souple et économique à la disposition des forestiers. L’association Quercus & Garrulus a pour mission de promouvoir ce dispositif et d’accompagner les forestiers qui l’adoptent. Le geai, premier reboiseur de chênes, cela mériterait bien une petite statue entre deux gargouilles de Notre Dame…

Henri Moulin, Chargé de sylviculture à l’ONF 38, nous parle des expériences de semis assistés par les geais en Isère

« D’après les prévisions du GIEC, le changement climatique va impliquer d’ici la fin du siècle un déplacement du climat de 600 à 800 m vers le haut dans les Alpes (et 600 km vers le Nord). Cette vitesse s’avère trop rapide pour permettre une colonisation naturelle des espèces à graines lourdes telles que les chênes. Inspiré d’essais de forestiers allemands, il a été mis en place au sein de l’ONF Isère une expérimentation originale en forêt de montagne qui met à contribution les geais. Le but de cette initiative est de renforcer la résilience des peuplements forestiers en améliorant leur biodiversité grâce à une migration assistée des espèces forestières. Il s’agit de mettre à disposition sur des tables à fruits des glands soigneusement sélectionnés, afin que les geais principaux disséminateurs des chênes se chargent de les disperser dans la forêt. Partant du constat que cet oiseau est capable de transporter jusqu’à 6000 glands à l’automne pour les enfouir afin d’effectuer des réserves, certains seront ensuite oubliés et pourront donner naissance à de jeunes arbres. Les premiers essais ont démarré en 2022. Les vidéos captées grâce aux pièges photo installés à proximité de certaines tables ont confirmé l’intérêt du geai pour ce dispositif : la plupart des tables ont été vidées en quelques jours. En 2024, le dispositif s’est étoffé, 25 tables sont installées réparties sur différentes forêts publiques des massifs de Belledonne, Chartreuse, Vercors, Oisans, Trièves ; Chambaran. L’action s’est un premier temps concentré sur le chêne sessile, mais nous avons aussi utilisé des noix et des châtaignes. Le dispositif se prête également à la dispersion du chêne pubescent et du chêne vert. Il conviendra dans les prochaines années de suivre l’installation de ces espèces forestières disséminées par notre allié dans les parcelles à proximité des tables. » Pour en savoir plus sur les dispositifs de l’ONF en Isère : https://www.onf.fr/vivre-la-foret/+/204b::des-tables-fruits-pour-favoriser-la-regeneration-naturelle-du-chene.html

Semis assisté par les geais en forêt privée en Lozère: migration du chêne pédonculé à 1100 mètres d’altitude.

Semis assisté par les geais en forêt privée en Lozère

La station se trouve au sud de la Lozère, à 1100 mètres d’altitude sur le plateau dominant les premiers contreforts des Cévennes. Les plantations d’épicéas côtoient les forêts mixtes formées par suite de la déprise agricole. Ces peuplements non matures, issus de régénération naturelle, sont dominés par le pin sylvestre, accompagnés de bouleaux, de jeunes hêtres, d’aulnes, d’épicéas et de quelques chênes pubescents, probablement remontés des Cévennes. La station présente un couvert moyen de l’ordre de 50%, en versant légèrement sud  et on note la présence de bois mort au sol et de genêts. Par tous ces aspects, la station semble favorable à l’installation du dispositif de semis assisté par les geais. Les semences sont récoltées dans des peuplements de chênes pédonculés (appartenant au même propriétaire) situés à 500 mètres d’altitude en Nord-Isère (la glandée 2024 est abondante), puis installées dans plusieurs bacs en Lozère. Un des bacs est équipé d’un piège photo. Les bacs sont visités immédiatement et les glands sont emportés par les geais à un rythme d’environ 20 passages par jour,  à raison de 3 à 5 glands par transport. La « nouveauté » des glands proposés, ne semble pas troubler les geais et les bacs sont réapprovisionnés une fois par semaine. Les rebuts de glands laissés par les geais représentent environ 10 à 20% des quantités mises à leur disposition. Ils sont retirés avant chaque réapprovisionnement. Le dispositif est prévu d’être renouvelé sur trois ans. À la suite d’une première saison très encourageante avec les glands de pédonculé, il est prévu l’année prochaine de proposer en complément des glands de chêne sessile. Un suivi des régénérations est prévu pour évaluer le dispositif et l’adapter si besoin.